Voix de soutien. Aline Stragiotti: «Le petit soldat de Diallo»

Extrait de La voix des sans-papiers n° 9, 13 septembre 2012

Aline est militante du parti de gauche à Paris dans le 18e. Elle s’est engagée dans la lutte des sans-papiers depuis 2004, a soutenu l’occupation de Baudelique par la CSP75 depuis le début, elle s’était notamment impliquée dans les cours de français.

L’idée de la marche européenne m’a tout de suite séduite par son mot d’ordre : liberté de circulation et d’installation pour tous. Puis par le nom de l’organisation qui l’a appelée : Coalition internationale des sans-papiers et migrants. Je suis moi-même enfant de migrants, mon père était italien, ma mère canadienne. De plus, j’ai vécu et travaillé cinq ans au Sénégal et en Mauritanie. L’hospitalité que j’ai toujours trouvée là-bas est pour moi inoubliable, je voudrais que la même chose se passe chez nous pour tout étranger qui vient en France. Enfin, a joué aussi le souhait de mieux connaître les camarades de la CSP75 et de participer avec eux à quelque chose qui n’est pas de tous les jours.

Excepté la Suisse, j’ai pris part à la marche depuis le début jusqu’à la fin. Les femmes ont déjà dit les difficultés des premiers jours. Mais il n’y a pas eu seulement la pluie, le froid, la fatigue. Il y a eu aussi l’inquiétude des camarades sans-papiers pour avoir à passer des frontières en situation irrégulière. C’était très tangible les premiers temps : personne ne savait l’accueil qui nous serait fait par la police, et les «soutiens» français les avaient assez effrayés, en leur disant qu’ils se retrouveraient vite au centre de rétention pour être expulsés vers leurs pays d’origine. Plusieurs, il a fallu les tranquilliser pendant quelques jours ; leur représenter la force tranquille que nous exprimions à 150 personnes ; les assurer que tout avait été fait auprès des autorités pour que tout se passe sans encombre.

J’ai participé à la marche en mon nom propre. J’ai donc préféré ne pas être présente aux rencontres officielles, etc. J’ai choisi d’être dans le rang. Le soir, il fallait se diviser en quelques groupes pour aller se coucher à des endroits différents, je me suis retrouvée dans celui «de Diallo», appelé aussi «églises» (car en Belgique nous couchions dans des églises) ou «Chateigne» (du nom du responsable de Droits devant), en fait le groupe de loin le plus nombreux, celui des «sans-grades», la masse des sans-papiers. Là, c’était la «discipline militaire», appels réguliers, fallait être prêts à l’heure… Enfin je me suis confondue parmi les «soldats», «petit soldat de Diallo» moi-même. Cela m’a rappelé la division par rôles sociaux, de sexe, d’âge, des sociétés traditionnelles africaines que j’ai connues, où tout le monde accepte son rôle. Je suis persuadée que sans cette organisation rigide nous aurions raté notre marche.

Ce qui m’a le plus marquée ce sont les étapes italiennes. Elles sont à mes yeux représentatives de la solidarité que nous avons rencontrée partout. J’attendais mes camarades venant de Suisse à Turin, où ils sont arrivés le 25 juin au soir. Nous avons été reçus dans une résidence universitaire occupée depuis janvier par environ 80 étudiants en lutte pour obtenir le versement de leurs bourses. Un magnifique dîner à l’italienne nous attendait dans ce très bel immeuble avec un très bel et grand jardin où nous aurions aimé pouvoir dormir à la belle étoile, car il faisait excessivement chaud. Mais les camarades italiens, inquiets de contrôles de police, avaient prévu autrement. Vers minuit, à une soixantaine, nous avons donc gagné le siège de l’USB (Unione Sindacale di Base qui nous a parrainés pendant tout notre séjour en Italie) distant de deux kilomètres. La journée avait été chargée, comme d’habitude, tout le monde était chargé – de ses bagages, de quelques matelas donnés par les Suisses – et très très fatigué. Ce court trajet nous a paru interminable. Mais, arrivés au siège de l’USB : deux grandes et vraies salles de bains… de l’eau froide… c’était tout ce dont j’avais besoin par cette chaleur !

Le jour suivant, en fin de matinée, nous voilà au marché de Porta Palazzo. Superbe banderole fabriquée par nos camarades italiens. Aboubakar nous apprend nos premiers mots d’italien : il nous suffira de scander SUBITO (tout de suite). Djembés, flûte, ronde, «subito» résonnent sur le plus grand marché couvert – débordant en toutes directions dans les rues avoisinantes – d’Europe, où les travailleurs sont des immigrés non déclarés… Et où on trouve de tout : des camarades en profitent pour faire des emplettes. Mais il faut partir car nous sommes attendus pour déjeuner, dans une usine réhabilitée, par le Gruppo Abele, association créée en 1965 pour les sans-voix. Puis à 17h manif du jour dans le centre-ville : grande manif à laquelle participent aussi bien le syndicat que d’autres organisations et «inorganisations». Des musiciens sénégalais de Bologne aussi sont présents, ainsi qu’une batucada d’enfer assurée par les étudiants.

Le matin du 27, nous visitons un haut lieu de la résistance piémontaise au fascisme, où huit partisans furent fusillés en 1944. L’un des vieux partisans de l’époque nous raconte avec émotion les liens qu’il a tissés avec les grands-pères de nos camarades africains. Minute de silence, beaucoup d’émotion de part et d’autre. À 18h, assemblée publique sur le droit d’asile en Europe, avec de nombreux intervenants…

Le lendemain, départ pour Bussoleno, gros bourg de la Vallée de Susa en lutte contre le projet TAV (TGV italien) depuis plus de vingt ans. Les militants du mouvement NO TAV sont avec nous. Sur le train envahi par nos 130 gilets jaune fluo, comme ailleurs en Italie les questions foisonnent et les passagers sont enthousiastes. À Avigliana, à une demi-heure de train de Turin, nous voilà partis, vers 13h, sous un soleil de plomb et par une température de 35 degrés, pour une marche de 28 kilomètres. La caravane s’étire. À nos côtés, très vite, champs de mais, de riz, prairies alternant avec les bourgs… Enfin Bussoleno ! qui offre aux yeux le spectacle mémorable de ses drapeaux NO TAV flottant à tous les balcons.

Pour la nuit, le plus grand groupe s’installe dans un gymnase de la municipalité, offrant… des douches chaudes ! Tandis que mes camarades africains s’ébrouent là-dessous avec satisfaction, je rêve, moi, à l’émoustillante eau froide turinoise.

Enfin, le jour après, quinze kilomètres en car et nous arrivons au camp NO TAV près du chantier des travaux… Ah ! je ne retrouve plus mes notes… Bon… un déjeuner à base de polenta nous attendait, et aussi le chant Se canto, l’hymne de l’Occitanie que l’on chante des Pyrénées aux Alpes en passant par le Massif central, et que les camarades italiens ont entonné en chœur en notre honneur, mais qu’aucun des camarades venus de France ne connaissait !

J’ai vécu quelque chose d’exceptionnel à côté de mes camarades marcheurs. Ils étaient 130, à peu près, ils risquent pour la plupart de rester anonymes. Je souhaiterais que quelque chose d’écrit et d’imprimé reste pour chacun d’eux. Je me souviens de leur rentrée à Paris, place de la République. Ils étaient radieux, rayonnants de bonheur et de la conscience d’avoir accompli un exploit hors du commun. Je ne voudrais pas qu’ils soient vite oubliés et qu’ils entrent dans l’anonymat.

Je conclus par ces paroles fortes de Chateigne : «De l’air, de l’air – ouvrez les frontières !»

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Voix de soutien, Françoise Carrasse: «Des papiers, pas des policiers !»

Extrait de La voix des sans papiers n° 9, 13 septembre 2012

J’ai participé à la marche européenne parce que je suis avec la CSP75 depuis le début de l’occupation de la Bourse du travail. J’avais déjà participé à la marche Paris-Nice et à la caravane Bamako-Dakar à l’occasion du forum social mondial de 2011. Il a donc été bien naturel pour moi de participer aussi à cette marche et à son organisation : logistique, courriers, et côté financier géré par l’association DIEL (droits ici et là-bas) dont je suis la trésorière. De plus c’était pour moi, à nouveau, l’occasion de prendre part à quelque chose hors de l’ordinaire, d’autant que je connaissais la plupart des marcheurs, j’étais donc entre amis.

À ce qu’ont déjà dit les marcheurs sur le passage des frontières, je peux ajouter que ça a été assez étonnant la première fois quand nous sommes entrés en Belgique. Cette première frontière, avec tout ce qu’on nous avait dit d’obstacles infranchissables, nous nous attendions au baptême du feu : présence de la police pour nous empêcher de passer, etc. Or ça a été tout le contraire. Nous nous sommes rendu compte que nous avions quitté la France quand sur nos portables se sont affiché des SMS nous annonçant les tarifs internationaux… Pourtant, pas de policiers belges en vue !

En Belgique et au-delà, jusqu’à Mannheim en Allemagne, les débuts ont été durs, à cause de la pluie, du froid. C’était inattendu, on était en juin. Comme il ne cessait de pleuvoir, les habits et les chaussures n’arrivaient pas à sécher. Au manque d’habitude à la marche, s’ajoutait, le soir, à l’arrivée, vu notre nombre, l’insuffisance de sanitaires, notamment douches, dans les locaux où nous étions logés.

Je voudrais m’arrêter sur quelques épisodes concernant la police. En Belgique, sur l’autoroute pour nous rendre au Luxembourg, on était quatre dont deux sans-papiers à l’avant de la camionnette où était tout le barda des marcheurs. La police nous a arrêtés : contrôle de papiers. Et nous voilà au poste, car ces policiers belges ne savaient rien de la marche. J’ai appelé Sissoko, son car où il y avait la moitié des marcheurs nous a rejoints pour exiger la libération des deux sans-papiers et pouvoir en transborder un dans le car (il n’y avait que trois places dans la camionnette). Quand le car est arrivé, les policiers nous ont demandé une liste des sans-papiers, après quoi ils ont appelé l’office de l’immigration recevant pour toute réponse : « Laissez-les partir». Ils n’en revenaient pas ; quand enfin nous sommes tous repartis, l’un d’eux a commenté avec un des deux sans-papiers libérés : « Ah ! vous êtes très forts, vous !»

Pas d’autres problèmes avec la police, partout où la marche est passée, sauf en France, où la présence policière a été constante. À l’étape de Florange, la gendarmerie nous a obligés à quitter la route nationale faisant faire aux marcheurs fatigués un détour d’une dizaine de kilomètres dans une étape déjà longue. La marche enfin terminée, retour à Paris. À un péage, contrôle de police : trois sans-papiers dans la voiture. Les flics veulent les arrêter, mais, les deux cars arrivant, 120 sans-papiers débarquent en criant : « Des papiers, pas des policiers !» Dare-dare, ceux-ci nous font signe de repartir.

Je me demande pourquoi cette présence permanente de la police française. Il y avait même des RG qui dormaient en voiture la nuit, pour ne pas cesser de nous surveiller. C’est en France que la CSP75 est connue, que sont bien connus ses procédés pacifiques, et non dans les autres pays, et pourtant… Peut-être cela était dû au contexte électoral : la question de l’immigration était sensible notamment dans l’Est où le FN est bien implanté. Mais sans doute aussi les gouvernements européens ne voulaient pas qu’on entende trop parler de cette marche.    

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